Revue écrite par
GABRIEL BAURET,
Commissaire indépendant et professeur
Il m’a semblé utile ici de proposer une sélection de photographies qui constituaient à mes yeux une démarche intéressante, condensaient l’esprit d’un travail. Bien sûr, je l’ai fait avec mes propres exigences artistiques : étant sensible autant à la forme qu’au sens des images.
J’ai trouvé d’abord une qualité : le fait qu’il se dégage de ce travail une certaine force, une énergie, je dirais un désir d’expression. Dans un instant très bref. Une saisie assez brute, qui désigne un fragment de réalité, mais renvoie aussi à un état d’esprit de la personne qui photographie à un moment donné. Une sorte d’urgence à faire une image.
Le noir et blanc est tout à fait approprié à cette démarche, car il va à l’essentiel, l’image ne se perd pas en détail. Un contraste fort : lumière / obscurité, plus un certain grain. Il faut d’ailleurs bien veiller à préserver cette unité dans le rendu des contrastes et la qualité du grain.
Le cadrage est dynamique, voire assez agressif, nerveux. J’ai apprécié également le fait qu’il est aussi bien maîtrisé verticalement qu’horizontalement.
Un autre point positif: c’est un travail qui s’inscrit tout à fait dans le contexte d’une pratique très contemporaine du noir et blanc, influencé bien sûr par le travail d’Anders Petersen, et d’un autre photographe suédois qui a beaucoup marqué Anders : Christer Stromholm.
Mais cette photographie entretient aussi des liens avec l’esthétique très en vogue actuellement du Japonais Daido Moriyama. Une exposition présente en ce moment au Bal, à Paris, le groupe de photographes japonais de la même génération que celle de Daido Moriyama et qui ont notamment publié leurs travaux dans le magazine Provoke au cours des années soixante.
Ce qui me permet de souligner un point important dans le rapport entre le sens et la forme. Les Japonais du magazine Provoke ont développé une photographie que l’on pouvait considérer comme très révolutionnaire d’un point de vue formel. Mais cette forme dérangeante, qui rompait avec une écriture sage et pondérée, était au service d’un propos. Quelque chose qui correspondait à un désir de changement dans la société japonaise des années 1960.
Ce qui m’amène à souligner qu’il ne faut jamais perdre de vue ce que l’on souhaite exprimer. L’intention ne doit pas seulement se traduire dans la façon de cadrer ou de composer. Elle doit accompagner un projet de signification du geste artistique.
C’est la raison pour laquelle j’ai retenu dans ma sélection les photographies qui comportaient un sujet lisible, littéralement, ou dans lesquelles on pouvait percevoir une figure symbolique, métaphorique.
Quelques remarques sur la sélection :
- j’ai conservé la #26, mais j’ai hésité un peu. Elle est assez riche plastiquement, notamment grâce à son point de vue et à sa perspective (image proche en ce sens de la #25), au rendu des matières, à sa lumière ; en revanche elle ne me raconte pas grand chose.
- j’ai conservé la #40, mais je n’aime pas trop ces petits traits blancs en forme de point d’interrogation.
- la #23 exprime le mouvement, je l’ai conservée mais c’est un peu la seule à être traitée de cette manière. Il faudra réfléchir à un possible développement dans cette direction.
- la #33 pourrait être un peu retravaillée pour mettre plus en valeur la chaussure.
Ce dernier point - le tirage - est évidemment très important. Je ne peux juger ici qu’une image au stade virtuel, et non un tirage qui restituerait la totalité de l’intention artistique. Je considère des potentialités. Or la photographie ne s’arrête pas à la prise de vue, elle est achevée quand elle trouve sa forme idéale sur le papier. Sur un tirage ou dans un livre : la finalité d’un projet se mesure aussi à la place de la photographie dans un contexte. Elle doit notamment être pensée dans le cadre d’une série ou d’une séquence.
De manière générale, j’ai écarté des images qui semblaient se perdre dans l’abstraction. Ou qui n’étaient vraiment pas maîtrisées du point de vue de la forme : cadrage et composition, ou encore reposant uniquement sur un effet visuel gratuit.
La question du texte : certes, l’image doit d’abord se défendre seule, mais en l’occurrence ici, il y a une donnée existentielle qui semble compter, être même assez déterminante. On devine chez le photographe le désir d’accompagner une vie avec la pratique de la photographie. Pas nécessairement à des fins thérapeutiques.
Il faut dire qu’il y a en ce moment chez les photographes contemporains qui travaillent sur ce registre existentiel une certaine tendance à livrer uniquement des images, sans aucune contextualisation. À laisser le spectateur se débrouiller avec la question de la signification de l’œuvre. L’art, c’est donner du sens à une expérience de création.
Dernier point : l’une des images qui me parle le plus est sans doute la #24 : le cadrage et l’expression se rejoignent.
Gabriel Bauret, 27 septembre 2016