Revue écrite par
CORINE HAMEL,
Responsable service photo à Marie Claire, France
Bonjour Rosalie et merci de m’avoir demandé à lire votre travail.
Vous expliquez dans votre texte de présentation avoir choisi de nous montrer la solitude, ces moments où il est fait bon être seul (e) . Vous vous êtes imposé une triple contrainte : réaliser des portraits (première difficulté) de personnes que vous ne connaissiez pas avant de les photographier (seconde difficulté liée au workshop) et décliner à travers ces 9 portraits le thème de la solitude assumée et épanouie. C’était une feuille de route très ambitieuse car réaliser un bon portrait est déjà un excercice périlleux. Rendre visible une émotion, un sentiment intérieur demande au photographe de mettre à profit tous les outils à sa disposition et de savoir les doser (diriger le modèle, construire le cadre, l’angle, la lumière, la profondeur de champ, le décor, la lumière, le format, la focale etc…).
Certes la solitude peut être représentée par l’expression du visage, le langage corporel de la personne seule à l’image mais c’est loin d’être suffisant il faut également jouer de tous les ingrédients qu’offre la photographie pour réussir à faire passer le message, à donner à voir le sentiment de solitude. Dans le corpus proposé, la seule photo pour moi qui réponde vraiment à cette intention est la photo n° 6 (C’est d’ailleurs la seule qui ne soit pas un portrait pris de face). Pourquoi cette photo marche-t-elle ? : parce qu’on y voit effectivement une personne, seule, dont le langage corporel signifie une pause, un moment de réflexion.
Le décor induit l’univers du travail et c’est le contraste entre la pose de cette jeune femme et l’ambiance laborieuse des machines tout autour, de la couturière d’arrière plan qui permettent au spectateur que je suis de ressentir la solitude du personnage, son temps calme. La lumière y est douce, diffuse, elle enveloppe la jeune femme. Les couleurs vertes & beiges sont froides rehaussées de tâches rouges (le tissu de premier plan, les lèvres, les bobines de fil) qui donnent son rythme à la composition. La distance à laquelle vous vous trouvez au moment de déclencher nous donne à penser qu’il s’agit d’un moment volé, vous passiez, vous avez remarqué cette jeune femme et fait la photo.
Faire un bon portrait est un équilibre délicat entre diriger, dans le sens souhaité, la personne que l’on photographie et laisser suffisamment de liberté à la personne photographiée pour capturer son émotion. Dans le même temps le photographe doit rester maître de son sujet, prendre soin de la mise en scène, des arrières plans, de la distance de la caméra par rapport au sujet, de la lumière, du cadrage… Etre prêt du personnage ne signifie pas obligatoirement que l’on donne mieux à comprendre ses sentiments et c’est un peu le défaut de certaines de vos photos.
Si je prends la photo n° 1, l’expression que vous avez saisi dans le regard de la jeune femme interpelle, mélancolique et songeuse, mais pourquoi lui avoir demandé une attitude qui semble aussi peu confortable. Elle ne sait pas quoi faire de ces mains et finalement les bras font une masse disgracieuse qui entoure le visage. Le bois de la table en 1er plan occupe une bonne part du cadre sans apporter d’information C’est une partie du cadre qui est inexploitée et qui fait « tomber » la composition d‘ensemble vers le coin inférieure droit de l’image.Les tonalités générales des matériaux et des chairs sont intéressantes, la lumière diffuse également, mais insuffisamment exploitées.
Si je garde en tête la représentation de la solitude sur laquelle vous avez souhaité travaillé alors le regard caméra de la jeune femme sur la photo numéro 2 ne marche pas. Elle n’est pas seule, elle vous regarde. Là encore le cadrage de la photo mériterait d’être retravailler, le personnage est posé au milieu du cadre, les genoux en premier plan font deux bosses, l’arrière plan est barré par les escaliers, sans point de fuite, sans perspectives. Ces escaliers sont trop présents ou pas assez…mais là il n’y a pas de parti pris par rapport au décor, pas d’interaction du personnage avec son environnement. Le choix de la mise en scène sur les escaliers nous la montre recroquevillée, presque agressive. Cette jeune femme non plus ne sait pas quoi faire de ses mains, ses avant-bras font une tache horizontale en bas de l’image.
Plongée sur la photo n°2, contreplongée sur la n°3. Le parti pris d’angle pourrait fonctionner, le regard du personnage se porte au dessus de la caméra mais comme ses yeux sont dans l’ombre du fait du léger contrejour, et de la lumière latérale on perd l’intention. Un travail différent sur la lumière aurait sans doute apporté un plus à cette photo. La façon dont vous traitez l’arrière-plan, flouté, matièré est intéressante. Je suis moins sûre des deux ampoules de couleurs qui encadrent le haut du crâne de l’homme. Il est placé exactement au milieu. Etait-ce nécessaire ? n’y avait-il pas un autre moyen de jouer avec ces ampoules et la lumière latérale ? Encore une fois, ça n’est pas parce que l’on s’approche au plus près d’une personnage que l’on donne à voir sa vie intérieure.
C’est à vous derrière la caméra de construire l’image de telle sorte que vous ameniez votre spectateur à comprendre, ressentir le sentiment que vous vouliez exprimer en plaçant la personne dans le décor que vous avez choisi, en cadrant, en vous servant de la lumière pour accentuer ou atténuer tel ou tel partie d’un visage, d’un corps, d’un décor. Dans cette photo, comme dans la précédente, la personne est comme posée devant un arrière-plan sans jamais que les différents plans de l’image n’interagissent ou ne se fondent l’un avec l’autre.
Les photos 5&7 fonctionnent ensemble je pense. Une jeune femme très expressive sur un arrière plan d’un bleu fort en contraste avec le rouge des lèvres et le noir de la veste. Je n’arrive pas à comprendre si elle baille de bien-être (mais alors pourquoi de telles violences de contraste dans les couleurs – pourquoi une lumière dure ?) ou si elle crie de désespoir. C’est un problème de direction du comédien.Et également du cadrage trop étroit qui ne nous donne pas suffisamment d’informations pour décoder le langage corporel de la jeune femme. D’un point de vue formel le trou noir de la bouche au centre de l’image me pose problème.
La Photo 8 exprime le bien-être mais attention au détail. La perle de son collier a roulé sur le côté, c’est dommage. Placée au centre, elle aurait pu faire un éclat qui aurait réveillé le noir du tee-shirt. Le pli du manteau sur la droite n’est pas gracieux. Le photographe doit avoir l’oeil à tout et chaque détail compte et est porteur de sens y compris la manière d’arranger les vêtements.
Je ferai la même réflexion sur la photo 10 (l’écharpe et la veste courte étaient-elle indispensables ? – le modèle a froid dans l’église – tant pis – vous tenez à avoir votre photo et si certains vêtements n’ont pas le rendu que vous souhaitiez à l’image et bien il faut lui demander de les enlever) Les frissons de froid seront peut-être l’accident qui vous permettra de sortir la bonne photo, celle que vous recherchiez. Le choix du décor de l’église, pourquoi pas ? c’est un lieu où l’on se recueille, seul. C’est une bonne idée pour exprimer le bonheur d’un moment de solitude. Mais pourquoi avoir placer le personnage au centre de l’image ? je ne vois aucun parti pris de composition, de cadrage. C’est dommage, le lieu s’y prêtait.
Pour la photo 9, de nouveau un personnage au centre de la composition, plaqué sur un décor de porte. Cette composition n’offre aucun point de fuite, il est impossible au regard du spectateur de rentrer dans l’image. Et puis il n’est pas seul, il vous regarde :) Ses mains, posées en papillons sur le jean, sont trop présentes, elles nous détournent de son visage. Je suis sûre que torse nu ce portrait aurait pris de la force. Il faut oser.
En résumé n’hésitez pas à jouer avec vos modèles, à tourner autour – face, profil, trois quart – tout cela fait sens dans un portrait, à affiner votre point de vue en fonction de votre intention (plongée – contre plongée ou un point de vue frontal), à travailler la position d’un corps, la direction d’un regard, à ce que raconte les mains (leur position, que « font-elles » ?, touchent-elles un objet ? si oui pourquoi ? cet objet nous apprend-t-il quelque chose sur le personnage photographié ?) L’arrière-plan (uni, matière, un décor identifiable ? on place ainsi le personnage dans un environnement qui fait sens). à prêter une grande intention au cadre, à la construction de l’image, les lignes de force, le premier plan, l’arrière plan, et la lumière bien sûr . Les grands maitres du portrait en peinture sont d’excellents exemples à étudier.
Je pense que ce workshop vous aura beaucoup appris car il vous amène à vous poser des questions essentielles pour la pratique du portrait et vous demande de repousser vos limites – notamment dans la relation à vos modèles.