Revue écrite par
XAVIER CANONNE
Directeur du Musée de la Photographie, Charleroi, Belgique
Les photographies de rue des membres de la communauté chinoise à Paris par Jef Lievens révèlent une bonne connaissance technique comme une maitrise de l’appareil photographique. Elles laissent cependant sur leur faim quant à l’approche plus spécifique du sujet envisagé. En effet, même si les personnes photographiées sont identifiables comme appartenant à une communauté particulière, l’on n’apprend que peu de choses de celle-ci, le photographe demeurant trop pour l’instant à la surface du sujet.
Si une certaine spontanéité s’en dégage, les photographies semblent plus procéder du hasard de la promenade que d’une réelle investigation. Les personnes photographiées le sont dans des décors qui n’informent rien de cette « mixité » d’appartenance à une communauté dans une ville « étrangère » avec ses signes distinctifs (plaques de rue, échoppes, mobilier urbain…), si différents de la société asiatique. L’on hésite parfois entre le portrait et la photographie de rue, entre l’image prise à la sauvette et le portrait posé ou consenti.
Dans sa note d’intention, Mr Lievens reconnaît d’ailleurs très honnêtement qu’il trouve ses photographies trop « académiques ». L’on pourrait donc considérer le présent travail comme l’antichambre, le préalable à un reportage plus fouillé, cet exercice de rue se devant être complété par une approche plus profonde de son sujet. Il pourrait, par exemple, suivre chez eux, en leurs domiciles, école, lieux de travail, lieux de loisirs, l’une ou l’autre des personnes rencontrées, lesquelles pourraient servir de fil rouge à un véritable reportage, une intimité partagée. Une autre remarque pourrait être faite quant à ces photographies, celle de la trop grande variété des poses, des attitudes des « modèles » qui dénotent une trop grande empathie vis-à-vis du sujet, j’entends l’absence d’une distance nécessaire à l’élaboration d’un projet durable, ce qui ne permet pas véritablement de pouvoir juger d’un « style » ou de la personnalité du photographe. Ceci amène à la nécessité de « préméditer » le sujet, d’en définir les axes et les contraintes : marcher dans la rue et attendre ne suffit pas toujours à traiter un sujet de façon satisfaisante.
La photographie 02 est dans l’ensemble la plus intéressante et la mieux composée ; cette photographie d’un groupe induit une histoire, un moment précis du quotidien, et la confrontation des personnages et du décor avec ses enseignes s’avère fructueuse : une lecture peut ici être faite du cliché.
La photographie 01 est, en cette optique, également intéressante mais il est dommage que la jeune femme du premier plan ait les pieds coupés et que sur le bord gauche apparaisse un fragment de corps. Le cadrage apparaît ici comme insatisfaisant, comme dans les autres photographies non posées.
La photographie 09 offre un bon compromis entre le décor, le personnage et les éléments visuels comme le sac à provisions de la dame. Elle induit avec les tours une information sur le quartier où vit la communauté asiatique. Si elle peut être jugée comme « statique », elle pourrait former un axe dans l’approche du sujet, entre portrait et décor.
La photographie 04, la femme lisant le journal, est également une photographie à retenir bien que divers éléments perturbent un peu le cadrage.
À l’opposé, la photographie 05 est excessivement banale : prise de trop loin, elle semble volée et n’offre aucun élément de lecture, aucune confrontation avec le décor. Il aurait pourtant été intéressant de détailler le vêtement, le maquillage, ou l’appareil musical, de confronter cette photographie avec la 06, dont, même si elle est imparfaite, le vêtement de la femme aurait été à lui seul un sujet. Ici, contrairement à la photographie 08, qui est assez banale, le modèle aurait pu être arrêté pour poser.
Cadrage intéressant et bonne composition pour la photographie 03 mais l’on reste en attente : c’est le type même d’image qui se doit d’être complétée par d’autres.
La photographie 07 est à conserver, mais se devait d’être améliorée d’un point de vue cadrage : soit trop peu, soit pas assez.
Les recommandations qui pourraient être faites à Mr Lievens en poursuivant son travail serait de mieux préparer son sujet par des rencontres préalables, de s’immerger dans la communauté asiatique avant que de photographier, de repérer les lieux afin de favoriser les confrontations et créer du sens dans ses photographies. De même, il conviendrait de surveiller plus particulièrement le cadrage autour du modèle photographié, voire de recadrer, ce qui n’est jamais interdit.
Enfin, il serait intéressant de combiner au travers de son reportage des photographies de détails (par exemple vestimentaires) et des cadrages plus généraux.