Revue écrite par
JULIÁN DUEÑAS,
Directeur du magazine GEO
Cher Guilhem,
Je viens de visualiser ton travail et j'aimerai te faire part de certaines considérations. Je te demande de ne pas mal le prendre, ce sont seulement quelques précisions, lesquelles, de vive voix, seraient faciles mais qui par écrit, peuvent sembler un peu dures.
Je sais par Véronique que tu n'es pas photographe professionnel et que tu ne souhaites pas non plus le devenir. Cela me semble bien. C'est un choix et cela se respecte. Cependant, je note qu'il existe en toi la passion de la photographie et pour cela, ce que je vais te dire, peut t'intéresser. Ton intention, tu la résumes ainsi dans ton profil, est de te servir de la photographie comme moyen. Tu crois au pouvoir des images et considères que la seule façon de voir le monde réel est de l'intégrer pleinement. Parfait. Je ne peux qu'être d'accord avec ton opinion et l'applaudir.
Cependant, même si cela me semble parfait en tant qu'opinion existentielle, tu ne devrais pas oublier qu'ici nous parlons de photographie, et que donc cette opinion peut sembler naïve. La photographie est un moyen, sans aucun doute, mais c'est un moyen vers de nombreuses choses. La photographie, en tous cas, celle qui est professionnelle, possède une part ludique et une autre, artistique sans aucun doute mais elle a également une autre variante moins connue mais plus profonde: l'engagement. Je pourrais coïncider avec toi quand tu évoques les médias principaux qui n'offre pas une vision de la réalité telle quelle, mais qu'est ce qui te fais penser qu'un photographe ou voyageur indépendant peut montrer le monde différemment que ces grands médias? N'oublions pas que ces grands médias se nourrissent du travail de petits collaborateurs freelance qui consacrent des jours, des semaines, des mois et parfois même des années entières de leurs vies à développer leurs projets et chercher de nouvelles approches et perspectives. Leur engagement est tel que, très souvent, ils passent du terrain strictement professionnel au terrain personnel, en s'impliquant de telle façon, qu'il est ensuite compliqué de faire marche arrière.
Même si ton travail n'est pas à but professionnel, ce n'est pas une raison pour qu'il manque du côté ludique, esthétique et d'engagement.
Ceci dit, permets moi quelques commentaires sur ton travail au Qatar. En premier lieu, le sujet me semble extrêmement bien choisi. Nous sommes tous au courant par la presse et la télévision des conditions pénibles dans lesquelles vivent les nombreux travailleurs qui viennent dans ces pays attirés par la richesse. Or, une chose est de bien choisir son sujet et l'autre est d'en tirer parti. Et c'est ce que je ne perçois pas dans ton travail.
En général, je ne vois pas une ligne de travail bien définie, mais plutôt une série de portraits de plus ou moins bonne rigueur photographique sans consistance graphique. Je voudrais penser que le problème se trouve dans la distance: distance par rapport aux sujets photographiés, ce qui déplace l'attention dans tout sauf ce qui est important; distance par rapport au message, tes intentions ne sont pas claires pour moi; distance par rapport à la technique, ce type de travail demande une technique plus élaborée et un contenu plus travaillé.
Pour commencer, parlons des profondeurs de champ. Dans la plupart des cas, ce sont des plans tellement ouverts, étendus, qu'ils en sont confus. Un plan ouvert est intéressant dans de multiples occasions, mais je ne crois pas que cela soit le cas ici. Il y a trop de point sur lesquels l'attention est attirée, trop de distractions, trop de dispersion. Il y a tellement d'éléments dans les photos que souvent ce qui devrait être le centre d'intérêt devient secondaire. Il y a d'autres photos dans lesquelles j'ai tout simplement la sensation que tu passais par là, la scène t'a plu et tu as pris la photo. Il n'y a pas de cadre, pas de mise au point, pas d'intention. Ceci tend à arriver lorsqu'on a pas assez l'habitude, le sujet clair ou lorsque nous sommes vaincus par la timidité.
Continuons avec l'approche. Une fois que le sujet photographié est clair pour moi (je suppose ici, les conditions de travail au Qatar), je dois choisir l'outil le plus efficace pour le traiter. C'est à dire, quel type de photographies vais je employer? est ce que je choisis le portrait désincarné ou la pose de groupe plus familière? Est ce que j'emplois le flash? Ces questions qui peuvent sembler banales, ont leur raison d'être et leur importance. En effet, la différence entre un travail professionnel (ou d'inspiration) et le divertissement sans prétentions réside dans ces questions là.
Une note sur une question que tu dois avoir à l'esprit dans des pays tels que le Qatar est celle de la lumière. Ou celle de son usage. Dans ces latitudes, la luminosité est si forte, si brutale, que tu cours le risque de ce qui t'es arrivé dans les faits: la présence d'ombres si dures qu'elles dévorent les détails et compromettent les photos.
Tout ceci étant dit, je répète que je crois que tu as une opportunité incroyable d'explorer ces terrains que d'autres photographes n'ont pas. Les voyages que tu fais t'ouvrent un monde d'infinies possibilités. Pour cela je te dirais de profiter de ta chance, approfondis un peu plus tes connaissances techniques (essais de travailler avec le flash à la main, cela te sera très utile dans ces lieux) mais surtout essais de bien définir quel est le message que tu veux communiquer. C'est seulement ainsi que tu pourras montrer avec ton regard particulier ce que les grands médias ne sont pas capables de montrer.