Denis Guichot

Cher Denis,

Il ne m'est pas facile de commenter ton travail. Le fait d'avoir passé le cap de photographe amateur à photographe professionnel implique – par les temps qui courent – non seulement de la chance et du courage, mais aussi une connaissance approfondie de la technique photographique (quelque chose que tu possèdes et que j'ai pu apprécier en visitant ton site internet) et une grande confiance dans ton travail.

Mais en plus, ton entrée dans le monde professionnel te permet de maîtriser une autre dimension de ce travail, peut être moins connue et agréable qui est la relation avec le client.

Ce sera en effet dans la formulation des besoins, l'inévitable négociation postérieure, la lutte acharnée entre ce que tu crois qui doit être et ce que le client souhaite, que tu te forgeras en tant que photographe, que tu définiras ta ligne personnelle, que tu renieras – et par moment, haïra – ta profession.

Ce qui jusqu'à maintenant a été un jeu amusant, un loisir, un plaisir personnel, se convertira du jour au lendemain en une pression constante, incertitude, dur labeur, ou tu devras faire des choses pas toujours intéressantes ni motivantes. Attention, il y aura également de grandes satisfactions. Je tenais juste à te dire que, passée l'euphorie initiale, rien ne sera comme avant.

Ceci dit, permets moi certaines considérations sur ton travail des bords de Seine. Comme je te l'ai déjà dit, je ne vois pas de problèmes techniques, plutôt même le contraire: tu manoeuvres avec agilité tous les registres (contre jour inclus), tu joues avec succès avec les mises au point, les profondeurs de champ, les compositions et cadrages. Tu maintiens les distances quand il faut les maintenir et tu te rapproches quand il convient de le faire, tu crées de la magie ou elle n'est pas et tu approfondis quand tu perçois un potentiel. Pour ma part, à ce sujet, aucune plainte. Un dix sur dix.

Cependant, il me reste un certain goût amer. Le travail que tu as réalisé, selon moi, ne me convainc pas entièrement parce qu'il manque de quelque chose: d'une marque personnelle, de caractère. Je m'explique: ce que je vois dans tes photos est possiblement ce qu'il y a sur les berges de la Seine, ce que chacun peut voir et photographier plus ou moins bien, avec plus ou moins de détermination, avec bonne ou mauvaise technique. Mais ce que je vois dans ta séquence ne correspond pas à ce que tu peux offrir en réalité, qui n'est rien d'autre que la vision particulière de quelqu'un qui possède clairement un style. Ma question: en as tu un?

D'une certaine façon, les images me rappellent la commande d'un magazine de voyage ou d'un organisme de tourisme municipal. Tout est parfait, tout est aseptisé. Des cartes postales authentiques sorties des rayons d'un supermarché, mais sans esprit différenciateur. Je suis conscient que cela n'est pas facile et que sans aucun doute ton travail actuel influence la façon que tu as d'entreprendre une telle formation. C'est quelque chose d'inévitable mais également à prendre en compte pour le futur. Sois conscient de cela et risques toi. Pacque c'est seulement si tu arrives à différencier les deux mondes – ton travail de commande et ton projet personnel, ton regard singulier et distinct sur les choses – que tu auras du succès.

J'ai également lu ton profil et l'objectif que tu t'es fixé dans la photographie. C'est intéressant car cela n'est pas habituel (en tous cas pas dans ce monde journalistique). Montrer le bon côté des choses, le positif qu'il y a dans ce monde et nos sociétés, comme tu le sais, n'a pas bonne presse. Pour nous comprendre, cela se vend mal. Cependant, je suis de ton avis, il est l'heure de définir un nouveau prisme social, d'offrir des solutions imaginatives, d'élever des défis impossibles.

La photographie, ta photographie, j'en suis sûr, aura dans l'avenir la force suffisante pour montrer ce message et toucher le public au coeur. Et j'ai hâte de le voir.