Revue écrite par
PIERRE BESSARD,
Edition Bessard, Founder & CEO
VOUS ME FAITES FORMER DES FANTOMES
Vous me faites former des fantômes...cette phrase au réveil...sortie d'un rêve? j'ai oublié le film du rêve. Il me semble percevoir le frisson de la mer...difficilement j'émerge de la brume...et je ne sais pourquoi je me mets à fredonner cette chanson de Dick Annegarn: Bruxelles ma belle...des années que je n'avais eu cet air dans la tête...
Le paysage émerge peu à peu, un paysage de banlieue industrielle...mais un paysage où toute activité se serait suspendue...le ciel immense me paraît un bocal d'aquarium...je marche, avec hésitation, lentement, je m'imprègne des lieux; j'ai un regard qui se promène longtemps sur les choses, les êtres, peu à la fois les êtres, ou des foules diffuses...
J'étudie les murs: savez-vous que c'est une activité très savante? ça délie le regard et les sens; et puis ça cadre les choses; ça cadre les choses; les rêveries ; ça cadre la pensée, les pensées...
J'ai toujours vécu avec la sensation aigüe de vivre dans un film, toujours sans en bien connaître les personnages, le scénario est à déchiffrer, écrit sur le sable, avant que la mer du nord n'efface les traces...je ne sais même pas si je suis le héros du film et quelle en sera la fin, le dénouement?
Un film noir c'est tout ce que je peux dire...
Un film d'espions.
Il y a ce poisson graffé, mais aussi la spirale du mandala, je tourne autour, je me sens comme un dragon de mer, le message est là, sans doute évident...ralentir, être lent, fixer les choses, éloigner le flou, l'approximatif, ne garder que le premier ressenti, la fraîche émotion...il y a un peu de vent, je le sens dans mes cheveux...Le ciel est coupé par un aquarium de béton et je vois tout à coup les lettres au centre du mandala: MK.
J'ai réussi à retrouver mon contact. Mort. Dans sa chambre d'hôtel...sa main crispée mais ouverte comme pour me dire quelque chose, m'indiquer un signe, le sens de la piste...oui cette main d'homme, d'espion mort. Tout est dans les lignes de la main, le croisement des lignes comme un carrefour d'être...l'espion mort...la lampe avec ses glaçons de lumière...les lieux parlent si on sait se taire...écouter longuement...la trame du silence, la trame du silence alangui qui seule permet l'éclosion du regard. Room numéro177; un livre a disparu de la table de chevet, un livre a perdu ses 2 ailes de lumière.Il faut trouver l'autre lieu, l'autre hôtel...je ne sais pourquoi dans hôtel j'entends autel...
Hôtel. Conseillé, adoubé par le guide du routard; cette silhouette de femme...ce n'est pas elle?Si? Mais alors... et comment...Qui a vu Maou?
J'ai abouti à ces sculptures de galets géants, empilés, dans un sens secret, les galets , leur lissité grenue essaie de me dire quelque chose mais le vent siffle, souffle, ciel agité, on ne peut pas monter au ciel avec un train de marchandises, il faut alléger, virer le superflu...ces sculptures de galets ésotériques...j'ai un peu peur...la fumée blanche du ciel sur les galets géants, des bouliers de pierre; ici il y a eu des rites, ici il y a eu des sacrifices;
où est passée Maou?
J'ai ressenti le besoin de marcher pieds nus sur la plage, l'infini du sable sous la plante des pieds...la plante des pieds, sommes nous aussi des herbes, des algues, des végétaux, sommes-nous des arbres...La voix douce et sauvage de la mer du ciel et du vent m'apaise m'éclaircit me rassure...qu'est ce que j'ai devant moi? Un monstre marin qui se désengloutit des entrailles du sable? ou bien un phallus d'envol sous la lumière du nord?
Je ressens comme un dédale de pierres blanches sous une lumière de craie...il y a des digues quelque part.
Où est passée Maou?
Les merveilleux nuages qui sont les pensées du ciel; on imagine un parapluie pour les pensées du ciel...dans la culture chinoise le parapluie est un symbole de désir, d'orgasme, le parapluie est féminin...les fleurs sont comme volées par la lumière grise.
M'y voilà. La route. J'attends. Je scrute le sapin des panneaux signalé tiques; mais les signes sont à l'envers...quel est le sens interdit? Qui va paraître, surgir? Une personne à pied? Une voiture? Ce pourrait être une Daimler noire.
Je le sais, c'est le lieu d'échange de Maou. C'est ici dans le duel de la lumière et de l'asphalte.
Intérieur voiture. Chapeau de feutre posé sur le tableau de bord. L'infini des champs dans l'hiver-et les portées de nuages dans une musique à déchiffrer. Je rêve sur les libellules des essuie-glace.
Un rétroviseur (rétro/rébus) m'indique un angle mort. C'est par là bien sûr.
Je suis tombé dessus; la maison. Un impact d'obus dans le mur, étrange étoile d'éclats, comme une bulle de bd avec un mot: ORIENT.
Le mur strié; c'est un jeu de piste très dangereux.
La voilà Maou. Maou derrière une fenêtre de pluie; le mur ressemble à un Rothko. Maou est retrouvée. Quels secrets détient-elle? Qui a gagné? Le soir approche ses pattes de loup sur l'espace entre les choses...
Cette seule chose limpide, c'est l'espace entre les choses, l'espace entre les êtres, qui compte.
L'œil peut être un aigle ou un ange.
L'échange va avoir lieu. Devant un entrepôt muré couverts de tags. Un entrepôt frigorifique: les secrets profonds sont toujours glacés. J'aperçois la sphère d'un camion citerne. Bombe potentielle?
On ne saura rien de l'échange. Ni s'il y a eu des coups de feu. Le mystère est sphérique.
Vous me faites former des fantômes.