Je reste assise, la table n’est plus vraiment entre nous, mais je reste sur cette distance de respect mutuel, qui matérialise notre relation dans cette histoire. La proximité et le partage de l’histoire, de l’aventure, et cette table de cuisine entre nous.
La pudeur de la table.
J’ai l’impression que nombre de nos gestes sont des jalons qui posent un cadre et inscrivent ce qui se passe dans le temps de la vie quotidienne. Cette façon de venir écouter activement, sans pour autant juger ni apporter un service, et cette façon de se livrer sans chercher à se débarrasser de quelque chose, sans encombrer l’autre. Je crois que notre point commun est l’idée artistique du projet, la liberté, et la curiosité sincère.
Il parle avec un calme teinté de douceur même derrière l’enthousiasme ou la colère. Ce qui me touche, et qui fait je suis là tient à cette douceur de propos et de ton.
J’ai terminé les photos, il remet son t-shirt et son pull.
Onze mois plus tôt il m’avait dit : Je vais changer de genre. J’aimerais que tu suives cette transformation, est-ce que ça t’intéresserait ?
J’ai immédiatement répondu : oui. Ecriture ou Photo ?
Comme tu veux.
On s’était croisés plusieurs fois sur un projet. J’ai été touchée par sa demande, parce que ce sujet m’importe depuis longtemps, par le fait que quelqu’un qui va vivre cette transformation, me demande mon regard, mon travail, mon écriture, pour l’inscrire dans une approche artistique, avec l’entière liberté d’en faire quelque chose, ou pas.
C’est un travail en cours.
On se rencontre environ tous les quinze jours, chez lui.
Je prends des photos mais jamais de notes. L’écriture vient après.
C’est pour moi une occasion unique d’aborder cette question centrale :
C’est quoi, être soi ?